Loin de moi l’envie de définir mais plutôt de questionner l’importance de ce référent qu’on nomme couramment l’égo et qui sort, en veux- tu en voilà dans tous les kiosques, à tous les coins de rue, qui se faufile partout, des chaires aux parvis.
Ce mot m’a toujours intriguée : c’est un drôle de personnage, un guignol ; parfois ami, parfois ennemi qu’on nomme par défaut, à court de paria ; cet autre à blâmer.
L’égo nous rappelle t-il notre besoin de rationalisme et de cartésianisme ? Il est certes fort rassurant de le qualifier, pour le caser quelque part. C’est comme la représentation tangible de Dieu que je construisais enfant, alors que j’avais besoin de lui voir un visage, un style, d’imaginer quelqu’ un, plutôt beau, un gage de la matière et de l’esthétique universel, une vérité concrète. L’égo j‘en ai fait mon hôte, mon autre admirable, pour mieux le contrôler et parfois même l’étouffer quand il n’en faisait qu’à sa tête. Ô miroir, dis moi que je suis la plus belle !
Dans des périodes qu’on pourrait dire “difficiles”, l’égo est devenu mon vilain ami, mon jouet, ma marionnette ou moi la sienne, ça se discute… Plus qu’une notion, je pouvais grâce à lui prendre part à tous les conflits, le personnaliser à souhait, en un ami obligeant, en un bon parent qui me confirmait ou pas si ce que je faisais était sensé, louable, et utile. Je n’étais donc jamais seule.
Ça vous parle ?
Comme un doudou pour adulte, vous le promenez dans votre quotidien? à la maison et en dehors? Polymorphe, il se tapit en tout et partout. Ceci étant dit, on fait quoi ? Qu’a t-il de si précieux qui légitime qu’il siège à toutes mes instances intérieures jusque dans les rêves de mon royaume ? Veut-il être le roi ?, Un des artisans à l’œuvre, inéluctablement, ni Dieu, ni diable, un simple ouvrier de la conscience.
Un jour, je suis sortie du nid avec l’insouciante assurance de l’oisillon qui veut voler de ses propres ailes, défier le vide, et j’ai lâché ma branche, rompu mon allégeance parce que je réalisais que j’étais capable de me passer de cet hôte, cet autre devenu intrusif. Avec ou sans lui, comme on quitte un parent qui s’en va, j’étais aussi lui, aussi ça, un peu moins seule, c’est tout.
Nous étions résolument devenus amis, réconciliés pour la vie, lasse de nous éviter, nous faisions désormais équipe! Sans ennemi nulle bataille ! convenait à mon âme conquérante. Il redevint alors impersonnel, j’avais accepté d’y croire comme l’enfant qui commence à douter de l’ existence réelle du père Noël mais qui aime à croire qu’il existe encore. Cette enfant qui ne veut pas accepter qu’elle y a cru et qu’elle ne pourra plus jamais y prétendre.
L’égo, alors mon idéal du moment, mon favori, m’avait permis d’apprendre à comprendre, d’apprendre à grandir, à me sentir toute puissante. Il m’avait cloisonnée dans cet espace intermédiaire : un Entre-soi comme un parloir. Jusqu’à ce que je devienne progressivement la détenue, le visiteur, et l’observateur derrière la caméra de surveillance.
Ce terme « ego » essentiellement utilisé en philosophie et qui est le fondement de la psychologie, convoqué à la maison et dans la vie ordinaire ne serait-il pas un substitut du patriarche absent ? Le remède au mal d’une autorité défaillante et souveraine ou le reflet insoutenable de cette lumière d’un soi suprême ?
Je l’ai bien prononcé une centaine de fois et pourtant je ne pense pas qu’il m’ait été enseigné à l’école. Il est plus comme un mot alternatif qui arrive de l’extérieur…
Pour ma part, ennemi d’un jour et ami de toujours, je l’ai nommé mon pote intérieur dans un ouvrage du nom de « Une vie en transition, journal de bord à cœur ouvert », récit autobiographique qui relate l’expérience développementale du burn-out (1).
“Mon pote intérieur, lui aussi me parlait sans cesse. Certains l’appellent l’égo ; il avait meublé mon quotidien durant les longs mois pénitentiaires de mon arrêt-maladie, j’avais beaucoup de gratitude pour ce mental actif qui m’avait aidé à comprendre, m’avait enseigné la solitude. Ensemble on avait compté les larmes, les problèmes, on avait parlé de ce moi liquide inconstant qui coulait comme une petite rivière consciente et intérieure, qui creusait le lit de ma nouvelle utopie sur le toboggan de mes joues : le bonheur. Un bonheur calme et sans exubérance, le bonheur de l’être ramassé, sobre et libre, tout et rien à la fois.“
Anne Guillou
Alors soyons pragmatiques!
– Euh l’égo ! A quoi tu sers?
Moi j’en ai fait un plat! J’en rigole aujourd’hui. Il m’a servi à chercher et à comprendre, à couper les cheveux en quatre, à reproduire à l’envi les comportements conditionnés, à exceller dans les stratégies d’adaptation pour me conformer, à déguiser les solutions en problèmes. J’en ai passé du temps, comme un disque rayé à ressasser le même morceau ! C’est aussi grâce à sa capacité de veille permanente que j’ai fait le grand saut sans parachute : ne plus chercher à comprendre et ne plus expliquer, tout lâcher sans peur ni résistance, et seulement accepter.
Quand la lumière éblouit, il est bon de s’en passer, un petit peu et de s’y adapter progressivement. Là est peut-être sa mission…dévoiler.
L’ego est cet angle mort, l’ombre à la lumière, on peut bien passer son temps à le nommer, à le chercher sans le voir mais au fondement de notre être, ce qu’il révèle, c’est notre volonté profonde à faire avec -plus que de s’en passer- car c’est impossible. On le remarque, on l’observe, on est en droit de se demander : En quoi il est notre atout le plus contemporain pour faire société, de soi à Soi ? Allez ! Soyons jazzy car « Eveythbody wants to live together, why can’t we be together. » Sade(2)
“Notre peur la plus profonde n’est-elle pas d’être insuffisant, notre peur la plus profonde est d’être puissant au-delà de toute limite. C’est notre lumière, pas notre part d’ombre, qui nous effraie le plus“.(3)
C’est bel et bien ici que l’on se retrouve, sous les feux de la rampe céleste…convoqués à l’appel de notre vocation, sobre et simple.
«Our deepest fear is not that we are inadequate, our deepest fear is that we are powerful beyond measure.»